Songes d'une nuit à Pondi

   Allongée sur le ventre, la tete dans l'oreiller, j'énumère les oiseaux volants que j'ai entendu depuis le début de ma courte nuit. Des corbeaux au regard sans concession braillent leur noirceur dans les allées sombres de Vaitikupam. Tant qu'il y'a de la pourriture, les charognards réclament leur dû. Soudain...claque! J'éclate un moustique juteux posé sur le flanc de ma cuisse. Celui là n'aura pas son dernier coup. J'ai amené ma moustiquaire reprisée datant d'il y'a environ 25 ans. Papa et Maman avaient dormi dessous. Je les vois encore sur cette photo dans le salon, poser sur une plage de pêcheurs pas loin d'ici. Maman a un tout petit être dans son ventre. C'est moi là-dedans qui respire et mange indien pour la première fois de ma vie! Le souffle du vent me rappelle vaguement la maison sous les étoiles en Irlande du Nord l'année passée.

  (Daivika, Pondichery)
   
   Quelques degrés pas plus et on m'arrachait de ma douche parce que dehors il s'y passait quelque chose de rare et d'unique sur cette planète! Je quittais mon paisible bain de vapeur pour la rugosité de la nuit, enveloppée par le silence des montagnes. Au dessus de ma tête, un pale serpent de nuage gris dansait hasardeusement. "C'est une aurore boréale" me dit-on... Mais je ne vois rien. L'écran de l'appareil photo oui. Le retardateur enclenché, il braque son viseur vers la chose en mouvance et refait une photo. Les couleurs sont bien là... Seulement peu visible à l'oeil nu étant donné la distance et un phénomène dont je ne me suis pas rappelée jusque là. Suite à cela, la nuit a pris une ampleur que je n'aurais imaginé. 
    Un mec crache en bas de ma fenêtre, hier un autre jouait de la trompette! Quand ce ne sont pas les pêcheurs du presque matin parés pour la journée, ce sont ceux de la veille qui rentrent en titubant et en vociférant des accroches en tamoul.  Si ceux là ne restent pas dans le coin trop longtemps après avoir fait leur affaire, les chiens et les coqs s'assurent de notre bonne insomnie. Des gangs de cleps marrons s'interposent à un croisement et ouvrent les pourparlers. Notre trottoir est en jeu, et ce n'est pas ce soir qu'ils règleront les hostilités. Le vieux a sifflé, insulté toute la bande en tamoul, et enfin je vais pouvoir me coucher.

   Sonnette de vélo, Klaxon de scooter... La loi de la circulation ne cesse de résonner dans la ville, même lorsque les gens dorment. On klaxonne pour dire qu'on passe à un croisement, on klaxonne car on roule à contresens, ou qu'on double par la gauche... Partout le bruit des pouets pouets a son propre langage. En faisant dring sur mon vélo je fais savoir à quelle distance on peut éviter la casse, et ça marche. Du point A au point B, je ne m'arrête pas une seule fois, la circulation reste fluide même aux heures de pointe. Le seul véhicule qu'il ne faut pas sous-estimer est le bus de ligne. Lui, il ne te touchera jamais car avant toute fatalité, tu auras fait un bond sur le côté, qu'il y'ait trottoir ou amoncèlement de terre, caniveaux suintant ou parterre de détritus en décomposition active. Le bus est chronométré sur chaque aller-retour. Dans ce pays où tout est lent et sans fin, seul cette chimère de ferraille trouve sa ligne de fuite. Chaque jour, ces petits hommes emplis de courage et d'audace sautent à l'intérieur ou à l'extérieur de cette machine qui ne marquent jamais l'arrêt complètement, et font de même dans l'autre sens.

       Crédits photos Claire Noumene
  
   En mouvement continu, l'Inde mène à quelques insomnies passagères. Comment se fait-il que lorsque tous les bruits de moteur sont étouffés par le sommeil, le tambourin, les instruments à vent et les cloches du temple voisin réussissent quand même à me ramener à la réalité? Je dis au revoir à la petite maison sous les étoiles d'Irlande du Nord, où il m'avait semblé vivre d'une soirée une éternité. Le salon plongé dans la lueur du feu de cheminée accueillait avec simplicité l'hôte et ses invités. Des patates chaudes avaient été lancées dans le brasier, et cette femme anciennement infirmière tournait à mes cotés les pages de son unique album photo me comptant son incroyable histoire.  Cette ancienne bergerie avait perdu son toit et le principal de ses murs... Nous avons dû marcher une dizaine de minutes sur un chemin de caillasses, lampes torches à la main et au front pour retourner dans notre humble demeure. La petite maison ne me quittait pas : une pièce de vie et le reste à ciel ouvert... Cette femme aux traits rustres et gentils m'avait accueilli à bras ouverts et offert un bonnet de laine multicolore alors que j'avais accepté de sortir de ma zone de confort pour me lover dans la sienne. 
  
    Le camion poubelle pétarade en bas de l'immeuble, il est temps de s'en remettre aux bras de Morphée, le jour se lève à l'aube. Ce voyage a commencé par un balbutiement non intentionnel et aujourd'hui il prend tout son sens. La densité de la vie qui bat au coeur du lieu où je me trouve là, me redonne une substance que j'avais noté manquante. Quand l'esprit continue à écouter les bruits du silence et ne se laisse pas bercer par la perceuse un étage plus bas, ou l'homme qui crache un étage plus haut, alors c'est que l'excitation et le désir de voir et comprendre est plus forte que tout le reste.

1 commentaires :

  1. Merci Claire, ta belle écriture métaphorique à la fois réaliste un peu poétique et drôle me rappel mon bref passage en Inde.....c'est vrai c'est tt à fait ça! on s'y croirait!

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