J'ouvre les yeux en sursaut. Le bus s'est arrêté pour la énième pause pipi, les petits en bonnet de nuit calés entre mère et grand-mère sur la banquette opposée ont commencé à gigoter et ont monté encore le volume un cran au dessus. Il est 3h34, et la lune montre un joli ventre rond à travers les quelques nuages en vadrouille. La pause s'éternise et le tamoul résonne dans le bus quand tant bien que mal les voyageurs étrangers tentent de dormir. Normal, nous sommes les seuls à ne pas littéralement comprendre la raison de tout ce remue-ménage. Je sors du bus encore déséquilibrée et essaie de déduire notre position actuelle avec les panneaux qui indiquent des villes et leur nombre de kilomètres. J'ai laissé mon guide dans le gros sac, je ne comprends pas un mot de sanskrit, râpé. Brendha, ma nouvelle connaissance tamoul, me rejoint et finit par m'expliquer la cause de notre arrêt prolongé. C'est la panne. Les ressorts hydroliques ont lâché, nous devons attendre patiemment le bus qui vient de Chennai pour nous conduire à Cochin notre destination finale.
Avec deux ou trois compagnons de voyage gagnés par cette même insomnie soudaine, nous nous installons sur le bas côté défoncé par les pneus de camions immenses, sur une simple dalle de béton coulée devant le porche d'entrée d'une entreprise. Les grandes enseignes tapageuses éclairent la route mangée par la poussière des alentours. Ailleurs, il n'y a rien. Nous sommes en panne au bout milieu de la nuit sur une grande nationale où seul les camions entravent le silence si cher au sommeil. Les récits de situations extrêmes et insolites sur d'autres routes de la mapmonde fusent et je me réjouis davantage encore de ce moment tout à fait impromptu. Quelle heure est-il en France? Est-ce que si j'avais été là-bas plutôt qu'ici, je serai toujours éveillée au fond de mon lit ou en somnambulisme dans les rues de Troyes ? Non, j'épouste ces réflexions trop métaphysiques pour l'heure et m'éloigne des contes de voyageurs pour un repérage des environs. Au delà des enseignes il y'a une ruelle sombre sur ma droite que j'empreinte avec une seule idée en tête. Trouver un coin tranquille en dehors des pas de porte pour assouvir mère nature. L'exploration bat son plein, pas un chat, ni un serpent, encore moins une vache... Mais où dorment-ils tous ces animaux qui colonisent les trottoirs la journée ? Ces chiens sans maitre qui nous regardent passer sans jamais aboyer ? Peu satisfaite de cette rue où l'habitant prend très au sérieux le jour et la nuit, je reviens sur mes pas sans grande nouvelle à annoncer aux autres. C'est alors que j'aperçois ce qu'on vend dans le bâtiment qui se trouve en face de notre bus : douches et toilettes de luxe à installer dans des demeures digne de ce nom, du genre de celles qu'on n'a pas dans les restaurants et les guesthouses indiennes. C'est le comble franchement, ce magasin de chiottes qui nous nargue juste au dessus...
Crédits photos Claire Noumene
Une éternité s'écoule jusqu'à l'arrivée du bus d'appoint. Finalement, on y'est, arrivés à Ernakulam à 8h30 du matin, à peine reposés les gars et moi prenons un rickshaw hors de prix pour le centre ville. Au petit-déjeuner, nous nous gavons de Bombay toast, pain perdu à l'indienne, petit plaisir qui nous ferait presque oublier que nous avons passé la nuit entre semi-sleeper inconfortable et bithume infame. En Inde, les bus de nuit c'est pas du luxe mais ça donne au moins l'avantage de parcourir quelques 400 bornes les yeux fermés... sauf bien sûr si l'état de la machine en avait décidé autrement... (Episode début février, Kodaikanal-Palani / Palani-Kochi)
0 commentaires :
Enregistrer un commentaire